jeudi 31 janvier 2013

Nouvelle primée... petit cadeau pour le mois de février

Il ne fait pas beau. Hier on se serait cru (en tout cas dans les Yvelines) au mois de mars, tant il faisait doux et tant les oiseaux chantaient, et aujourd'hui la grisaille est de retour... et le moral de beaucoup est descendu en proportion de la chaleur des rayons.

Bon, pour vous remonter le moral, je vais vous faire un petit cadeau, un petit truc à lire pour vos changer les idées et vous rappeler qu'on vit quand même un siècle magnifique.
Ben oui, on l'oublie, on se plaint, il y a la crise, il y a le Mali, il y a le chomage, tout ça.

Mais voila, on est aussi au siècle des innovations et des outils de culture accessibles à tous,
et on est surtout dans le deuxième siècle du CINEMA

Et on ne s'en rend plus compte, parce que nous pratiquement tous nés avec pour nous l'évidence des salles noires, mais quel progrès par rapport à nos arrières grands parents, quels voyages, quels émotions, quelles découvertes nous pouvons tous faire grâce à l'invention des Frères Lumière (entre De Gaule qui sauve la France, les Frères Lumières qui inventent le cinéma et Hollande qui pédale dans le fromage, il y a vraiment en France des noms de famille qui sentent la prédestination !)

J'adore le cinéma, pour ma part. avec une faiblesse pour les vieux Capra, les Cukor, les "grands classiques" qui ont survécu aux modes parce qu'ils sont vraiment exceptionnels, et qu'ils traversent les âges.

Alors l'année dernière, quand j'ai vu que le cinéma de Chartres où nous allons souvent, et que je recommande, les Enfants du Paradis, lancait un concours de nouvelles sur le thème du cinéma, je n'ai pas hésité.
Et, petit miracle sympa, j'ai gagné le concours au niveau local.

Bon coté prix, je n'ai pas de nouvelles, et je crois que ca consiste surtout en quelques places de cinéma.

Mais j'ai surtout pris un immense plaisir à écrire ma nouvelle, et maintenant que je sais qu'elle n'est pas gagnante au niveau national, et bien je vous l'offre... qu'elle parte vivre sa vie chez vous maintenant !

Ma nouvelle parle des "serviteurs du cinéma"

serviteur est un mot décrié en France, considéré comme humiliant
Qui oserait encore proclamer qu'il se met "au service de la société" ?

je trouve que c'est dommage. Servir, c'est important quand on choisit la cause que l'on défend. C'est accepter que quelque chose vous dépasse, est essentiel, et lui donner une partie de ses forces et de son intelligence...

Servir, c'est accepter en quelque sorte une mission

Moi j'ai décidé depuis des années de "servir" l'information pour le meilleur : de me battre pour que les idées belles, drôles, ou pas belles et pas droles mais utiles, parviennent au plus grand nombre. Et quand je sais que par exemple, le site sur cette drogue terrible dont je vous ai parlé en décembre, il frole les 1000 connexions en un mois, et que là dedans il y a peut être un ado dont on a sauvé l'équilibre, ou un parent qu'on a averti et qui a pu agir, tout mon travail prend son sens
et je suis heureuse de "servir" la vie et le bonheur des autres

Le héros de ma nouvelle, il est comme ça. il sert.
parfois ca lui coute, il est vieux et plus très vailllant,
mais il a décidé de "servir" le cinéma

et je l'aime terriblement pour ça.

Et vous , dans notre société, vous servez quoi ?

"ETERNEL

Je suis vieux.

Bon, pas vieux, vieux. Pas comme Mathusalem, que je n’ai personnellement jamais croisé, ou même comme Ben Hur qui est quand même un peu antediluvien pour moi.

Mais je suis vieux quand même.
Je suis né dans les couleurs flamboyantes du cinécolor et des grands écrans, j’ai été posé dans cette salle à l’époque où l’on mettait encore des velours chatoyants et des rideaux mystérieux aux écrans, 
et j’ai même un peu vu du cinéma noir et blanc...

J’ai traversé toutes ces décennies de cinéma en découvrant le Grand Ouest et son John Wayne pas toujours intelligent, les drames hollywoodiens situés à Sunset Boulevard ou non, les films du Nouveau Courant ou de la vieille façon, Gérard Philippe, Liz Taylor, Michel Simon, Sean Connery, et tant d’autres dont je commence à oublier les noms...

Parce que je suis vieux. Et parce qu’ils sont tellement.

Et j’ai partagé pendant toutes ces années tant d’émotions.

Les cris des enfants terrorisés, agrippés à mon dossier à l’arrivée du chasseur, et qui pleuraient ensuite la maman de Bambi.
Les sanglots des femmes bouleversées cachant leur visage dans l’épaule de leur voisin, qui faisaient eux semblant de ne pas pleurer, tandis Barry Lindon racontait une dernière fois, avec des sanglots dans la voix,  son vieil assaut guerrier à son enfant agonisant.
Les hoquets des adolescents hurlant de rire à des blagues de potache où les machines à réviser le bac donnaient des claques, et où les professeurs étaient, pour une fois, toujours marrants.
Les rêves des midinettes répétant sans s’en rendre compte les moues de Marilyn tout en la regardant, alors qu’elle offrait, dans le moindre gros plan, son reflet de lumière, mais cachait si mal sa peur de n’être pas suffisante.
Les tics nerveux des jeunes étroits comme des pétrolettes, cachés dans des blousons de cuir trop grands, jouant les mariolles, fascinés par James Dean faisant semblant d’être un homme vraiment.

Oui, j’en ai partagé des émotions, des attentes, et parfois des bâillements.... des «blockbusters» américains pleins de bons sentiments et des films mongols méconnus dont le talent crève l’écran... des bluettes ingénues et des films pervers, et parfois même sanglants....

J’ai voyagé dans les quatre coins des cinq continents, dans le temps, et même dans les planètes que vous cherchez encore de vos lunettes, mais que j’ai visitées plus d’une fois, en quelques heures de cinéma fantasque et robotisant.

Et toutes ces années, toutes ces dizaines d’années, moi, fauteuil de cinéma de mon métier, je me suis attaché à mes clients. mes spectateurs. mes amis d’un moment.

Et il y en a un à qui je repense souvent. Un petit bout de rien du tout, la première fois qu’il s’est assis sur moi et que j’étais bien trop grand. Il avait si peu de force que rabattre mon siège était un exploit qui le soulevait de terre, mais au geste de son père pour l’aider, la première fois, il avait répondu un :
«non, moi» 
sonore et déroutant.

Et il est revenu, chaque semaine, religieusement, 
sauf au mois d’aout où il disparaissait rituellement, 
Et il est même venu parfois deux fois dans la semaine, les dimanches de mauvais temps

Il a grandi. il est devenu grand , et fort, et différent.

Mais c’était toujours, toujours sur moi qu’il s’asseyait en entrant.

Et je crois bien qu’il était une sorte de célébrité dans le quartier, car les ouvreuses des années dorées, ces années 60 où il est arrivé, riaient en lui rendant son ticket qu’elles venaient de déchirer en lui disant :
«bon, ben on ne vous accompagne pas, vous savez où vous allez»
et il me rejoignait toujours, sans hésitation, qu’il soit seul ou accompagné.

Je crois bien que c’est avec moi qu’il a vécu son premier baiser, et je me souviens encore que c’était bizarrement sur fond de Bud Spencer et Terry Hill... on ne choisit pas toujours un film adapté...

Et je ne peux m’empêcher de sourire quand je repense à toutes ces soirées où il est venu avec sa bande de copains aux voix adolescentes et aux plaisanteries crasses, cassant les pieds des spectateurs par leurs remarques bétasses.

Parce qu’il fallait bien que jeunesse se passe.

Il est venu des années, et il rythmait tranquillement mon existence. Tiens, le voila, un dimanche... tiens il est là avec elle une deuxième fois, c’est bien la première qui réussisse cet exploit...

Et puis il a disparu

Et j’ai continué mon métier,
Mais plus personne ne m’a choisi comme ca, à chaque fois, avec cette fidélité.

Et puis, et puis le temps a passé. Les guerres se sont succédées, avec les Indiens, les nazis, les étoiles... Les amoureux se sont enlacés, en Afrique avec les lions ou à Londres avec coup de foudre dans quartier charmant.

La vie a été belle... à pleurer .

Et je sais que depuis tout ce temps, j’ai vieilli.
Mon velours, pourtant déjà changé, s’est démodé. 
Et en s’installant, mes clients font un drôle de bruit, et parfois même des remarques acides à mon endroit.

Mais je veille, fidèle, avec mes os fatigués, et mon mécanisme que personne ne voit mais qui commence à rouiller,
et je sais que mes heures sont comptées.

Et cela me rendait un peu triste, parfois même un peu désespéré.

Jusqu’à cet après midi que je veux vous raconter. 
Cet après midi de mercredi dernier où tout a changé.

Un enfant est entré et a voulu s’installer. Oh, pas grand. Mon coussin lui arrivait bien au menton. Et quand son papa a voulu rabattre le siège il a dit :
«Non, moi»

Et j’ai frémi. Cette voix.

Et je me suis tendu de tous mes ressorts fatigués pour guetter , pour comprendre, pour être sûr de ce que je pensais.

Et le papa a dit

«OK, tu fais comme tu veux, installe toi.
Et maintenant je vais te dire un secret. 
Ce fauteuil là, il est magique, et je vais t’expliquer pourquoi.
Je m’y suis assis tous les mercredis et presque tous les dimanches aussi, 
toujours ici, toujours dans ce cinéma,
et le monde je l’ai découvert là

et les pays que tu visiteras avec moi dans quelques années, 
les voyages que l’on fera, 
ils se sont tous préparés là

et ta maman, tu le croiras ou pas, 
c’est ici que je l’ai regardée pour la première fois 
en me disant qu’elle serait une maman formidable 
et que je deviendrais bien un papa

et c’est ici que j’ai pleuré toutes les larmes de mon coeur 
sur des vieux films que tu verras, je n’en doute pas, 
et que tu aimeras autant que moi.

c’est ici que j’ai appris à rire avec des gens que tu découvriras 
et qui s’appellent Chaplin, de Funès, Mel Brooks, ou même Pixar

Cet endroit où tu t’assois, c’est là que j’ai vécu mille vies avant toi.

et c’est le cadeau que je te fais aujourd’hui, mon fils : 
mon fauteuil magique, désormais, il est à toi.»

Et j’ai senti ce petit bout d’homme se redresser et poser ses bras sur mes accoudoirs comme on s’accrocherait à un fauteuil volant,
et il a dit de sa voix venue du fond des âges :
«moi je suis prêt Papa»

et je sais que mes bois vieillissent et que mes charnières lâcheront dans pas longtemps. Mais ce n’est pas grave, j’ai rempli ma mission.

Le cinéma est éternel, et je suis son vieux servant. "


Concours de Nouvelles sur le Cinéma Jean Lescure
Prix de Chartres
Novembre 2012

2 commentaires:

  1. Bravo!! C'est vraiment très beau!!!!

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  2. Très poétique... c'est bon comme un "cinéma Paradiso" que l'on se repasse un dimanche pluvieux!
    Bravo!

    Jérôme

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